Par Léopold Juan, volontaire chez CELL (été 2023)
Au vu de l’urgence climatique et des dernières données scientifiques du GIEC, il est important d’agir au plus vite pour la transition des sociétés humaines. C’est pourquoi, ces dernières années, j’ai cherché à trouver du sens dans mon travail et à donner du sens à mon action. J’ai trouvé de l’espoir, de l'inspiration, des solutions et des modes de vie plus sobres et résilients, qui remettent en question notre société de consommation, tels que: la low-tech, la permaculture, les tiers-lieux, mais aussi l’aquaponie, que j'ai eu l'occasion d'expérimenter dans le cadre de mon volontariat à l’Aërdschëff de Redange.
Mon volontariat a ainsi porté sur la mise en place d'un système d'aquaponie avec pour objectif de mieux comprendre les bienfaits de cette pratique mais aussi d’en définir les limites. Dans cet article, nous essayerons de voir objectivement ce qu’est l’aquaponie et à quel point ce projet est soutenable et porteur d’espoir.
Qu'est-ce que l'aquaponie ?
L’aquaponie est un système de production alimentaire qui allie l’élevage de poissons (aquaculture) et la culture de plantes hors sol (hydroponie). Le système se caractérise par un circuit fermé avec des poissons qui produisent des déchets (nutriments) pour ensuite aller dans les bacs de cultures nourrir les plantes qui, en s’alimentant, purifient l’eau avant qu’elle ne retourne dans le bac à poissons. La structure des bacs en pente descendante permet à l’eau de circuler avec l’aide de la gravité et d’une pompe installée à l’extérieur, qui permet aussi l’oxygénation de l’eau, indispensable à la vie de cet écosystème.
En soi, c’est une échange de bon procédés : les poissons nourrissent les plantes et les plantes leur rendent, en nettoyant l’eau.
Schéma : le système aquaponique
Bac à poissons = Dents (Transforme la nourriture en “déchets/ressources” assimilable par le système) Filtre radial = Bouche (Sélectionne le bon du mauvais de nos “déchets/ressources” à laisser entrer dans le système) Bio-Filtre = Estomac (Décompose la matière par l’activité bactérienne, la rendant assimilable par les plantes) Lits de cultures = Reins (Filtre les nutriments chargés dans l’eau, assimilation par les plantes) Puisard = Coeur (Stock l’eau et la pompe dans tout le système).
L'aquaponie a déjà fait ses preuves, principalement dans les pays du Sud qui font régulièrement face à des pénuries d’eau. Centrée sur la question alimentaire, l’aquaponie permet, en relocalisant la production, de réduire l’impact des transports dans nos villes et de diminuer drastiquement la consommation en eau dans nos cultures.
Les divers supports de culture
Des moyens techniques tels que le média bed, raft bed, wicking bed, NFT ou mur organique sont des structures de culture adaptées à l’aquaponie. Chacune ont leurs avantages et sont adaptables suivant les besoins (poids, taille, espèces de légumes, stabilité physico-chimique, ..).
A chaque support son avantage
Le mur végétal ou organique, NFT ou raft bed permettront d’optimiser le rendement au m² pour les plantes aromatiques ou légumes-feuilles, principalement en utilisant des structures verticales, ou encore de très fortes densités, profitant d’une eau riche en nutriments.
De gauche à droite : mur végétal/organique, NFT, Raft bed
Le média bed permet un meilleur équilibre physico-chimique du système et la culture de légumes plus volumineux, voire d'arbustes. Il apporte également un support bactérien important pour le bon fonctionnement du système.
Exemple de média bed
Quant au wicking bed, il permet la culture de légumes racines et tubercules ne pouvant pas pousser dans l’eau ou un substrat trop dur. Il est alimenté manuellement avec l’eau du système par un tuyau, n’étant pas rattaché à la boucle et l’eau s’y diffuse ensuite par capillarité.
Exemple de wicking bed
Avantages et inconvénients de l'aquaponie
On entend souvent parler des nombreux avantages de l’aquaponie, mais ce système présente aussi quelques inconvénients. Lors de mon projet, je vais avoir l’opportunité de me confronter à quelques contradictions sur mes valeurs, ambitions de sobriété et d’autonomie.
Des contradictions au même sein du système
La consommation des ressources du projet est à mes yeux en contradiction avec la notion de sobriété. Étant pleinement dépendant de l’industrie, les matériaux comme les plastiques étant difficilement récupérables (dégradation UV/thermique) et les composants électroniques rendant les systèmes moins résilients pour leur entretien et acquisition.
Financièrement, pour environ 5m² de culture, il faut compter entre 800 à 1 300 euros pour avoir des matériaux de qualités alimentaires et faciliter le suivi des paramètres de vie du système.
Énergétiquement, maintenir une température constante été comme hiver demande généralement l’usage d’une pompe à chaleur. Cependant des solutions comme l’enfouissement du bac à poissons ou puisard dans la terre pourront réduire la consommation énergétique.
L’investissement en temps fait aussi partie des inconvénients que j'ai pu relever: les connaissances pluridisciplinaires pour s’occuper correctement de son système, l’entretien et la maintenance du matériel ainsi que le relevé des données physico-chimique (environ 1⁄2 journée par semaine).
Les avantages: rendement et économie d'eau
Rendement: de par sa densité de culture et sa concentration en nutriments dans l’eau, permettant même dans certains cas d’être cultivée à la verticale, l'aquaponie offre une forte productivité pour une faible surface. Cela représente un intérêt de taille pour la culture en milieu urbain.
Économie en eau: le système, étant en boucle fermée, recycle perpétuellement son eau. Il y a peu de déperdition d’eau en aquaponie, les pertes sont dues à l’absorption des plantes et l’évaporation naturelle.
Adaptable et flexible selon son design, il existe de multiples supports de cultures en aquaponie. De simples tuyaux PVC perforés offrent une structure légère de culture en hauteur, à l’inverse des lits de cultures sur substrat ou planches sont bien plus volumineux. Chacuns ont leurs avantages et inconvénients (poids, taille, densité, plante cultivée, activité bactérienne, stabilité de température, …)
La résilience alimentaire et l’autonomie qu’apporte l’aquaponie par la double production du système en végétaux et poissons est adaptable aux différentes zones géographique, grâce à la diversité d’espèces de poissons, végétaux et moyens techniques.
Conclusion
L’autonomie alimentaire qu'offre l’aquaponie, nous fait tendre à moins dépendre des gros groupes de production alimentaire, à être plus respectueux de notre environnement en favorisant des projets collectifs et locaux. Je vois cette pratique comparable à des jardins partagés, davantage au cœur des villes, peut-être sur nos toits d’immeubles, pour recréer des dynamiques de partage et cohésion sociale, reprenant davantage contact avec la nature et les liens humains.
Ma croyance en ces solutions grandit: fermes urbaines, tiers-lieux, ou éco-villages se développent sur notre territoire depuis quelques années. Les toits de nos villes sont végétalisés avec de l'agriculture, de l’hydroponie et même de l’aquaponie. Cette vague d’initiatives positives est encourageante face au dérèglement climatique qui progresse rapidement.
Selon moi, un système aquaponique n’est pas nécessairement adapté à tous les projets aujourd’hui, en raison de la nécessité d’investir beaucoup de ressources financières et matérielles.
Cependant, certaines régions de France commencent déjà à faire face à des pénuries d’eau réduisant le rendement des récoltes. Dans ces circonstances, l’aquaponie devient alors une solution très pertinente.
L'aquaponie représente une solution intéressante pour la culture en milieu urbain
L'aquaponie soulève des points positifs environnementaux non négligeables dans la transition écologique, soit la relocalisation de la production alimentaire, distribution en circuit court, préservation de la ressource en eau et même des perspectives sociales par des projets associatifs ou de collectivités.
A mes yeux, en regardant les données scientifiques, l’Europe de l’Ouest va être confrontée à davantage de sévères sécheresses et une augmentation significative de la température sur le continent (soit une des plus rapides observables sur le globe).
Il est important de mettre en place des systèmes d'alimentation pouvant pallier les futures contraintes, en les mettant en place et en les expérimentant dès maintenant.
Comme peut le dire le GIEC, nous devons travailler sur plus de résilience, en plus que d’être alimentaire et énergétique elle sera principalement sociale. Aujourd’hui, il est important de prendre conscience du besoin de s'entraider et travailler ensemble. Il s’agit d'un espace de partage, de nos questionnements, de nos ambitions, de nos réflexions et surtout des endroits pour se donner de la force et les moyens de passer à l’action sur ce qui nous anime et nous rassemble.
Ce que mon projet de volontariat m’a apporté ?
Les objectifs de mon volontariat étaient de développer un système aquaponique. Le projet pourrait ensuite servir de support pédagogique pour la sensibilisation du public vis-à-vis des problématiques environnementales et alimentaires.
Mon association m’a fait confiance sur ce projet. J’ai eu l’opportunité de vraiment m’épanouir, en étant libre et très autonome. J’ai pu me challenger et mener à bien mon projet d’aquaponie en me confrontant à toutes les étapes et responsabilités d’un projet. J’ai dû développer des compétences et des expertises en biologique, menuiserie, électronique, tuyauterie, physique,... Le volontariat, m’a permis de trouver un environnement pluridisciplinaire, riche en enseignements en évitant de s'enfermer dans une spécialité dans mes études.
J’espère avoir l’opportunité de travailler à nouveau sur ce type de projet. Je souhaite également travailler avec davantage de personnes pour donner plus de sens à mon travail, le partager et le valoriser.
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