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Sème et récolte les graines de la biodiversité

Dernière mise à jour : 20 juin

Par Frank Adams, SEED asbl, et Aline Ouvrard, CELL, asbl


Alors qu'on parle de la sixième extinction de masse, cette fois causée par nos activités humaines, l’industrie agro-chimique contribue à cette chute de la biodiversité, notamment par ses pratiques semencières. Pourquoi est-ce essentiel de se réapproprier la reproduction de nos semences ? Comment diversifier les variétés cultivées et développer notre autonomie en semences ? Que faire pour contribuer à ce mouvement au Luxembourg ?

photo credit : IMS

Etat de la biodiversité sauvage et cultivée


Biodiversité sauvage

La biodiversité sauvage s’effondre, compromettant le maintien de fonctions écosystémiques essentielles comme la pollinisation, la régulation des bioagresseurs (avez-vous remarqué l’incroyable quantité de pucerons cette année ?), ou l’entretien de la fertilité des sols.


Parmis 1323 espèces de plantes ayant été présentes au Luxembourg, en 2005 lors de l’élaboration de la Liste Rouge des plantes du Luxembourg, 7,6% sont considérées comme disparues au niveau régional, 9,2% comme menacées de disparition, 9,4% comme fortement menacées, 8,2% comme menacées et 6,3% comme étant extrêmenent rares. Au total 34,4% des espèces de plantes du Luxembourg sont considérées comme étant menacées ou disparues (1). Une nouvelle liste rouge est en cours d'élaboration et, depuis 2005, encore d'autres espèces ont disparu au Luxembourg (2).


Biodiversité cultivée


La diversité cultivée a aussi diminué, à mesure que les variétés locales ont été délaissées au profit de variétés génétiquement très homogènes et adaptées aux pratiques de l’agriculture industrialisée : irrigation, engrais azotés synthétiques, pesticides... On observe une disparition de 75 % de la biodiversité cultivée en 100 ans. Sur 6000 espèces végétales ayant été cultivées par l’humanité, aujourd’hui seules 9 espèces représentent 2/3 de notre production agricole mondiale. Vous devinez lesquelles ? Canne à sucre, maïs, blé, riz, pomme de terre, soja, noix de palme, betterave à sucre et manioc (3).


Image by tawatchai07

Ce manque de diversité devient une vulnérabilité dans un environnement propice aux perturbations climatiques ou biologiques.


L'agriculture a pour but de nourrir la population tout en préservant les ressources naturelles et les écosystèmes de la nature. Pourtant, avec ses pratiques de monoculture, de travail du sol fréquent et profond, d’épandage d’engrais et de pesticides… l’agriculture industrialisée est coresponsable de la disparition des fleurs sauvages, des insectes, des oiseaux et également de la diversité des semences. Produire des aliments tout en appauvrissant la biodiversité ne peut plus être et n'a jamais été la bonne direction à suivre.


Etat actuel de la reproduction de semences


Les semences sont principalement produites par des entreprises industrielles spécialisées, pour ces mêmes pratiques agro-industrielles et sans prise en compte des spécificités territoriales. Parfois, les mêmes entreprises vendent des semences et les produits chimiques associés à leur culture. Au début du XXe siècle, les pépiniéristes proposaient des centaines de variétés. En 1983, seules un tout petit nombre de ces variétés étaient disponibles au Laboratoire national de conservation des semences (USA). Par exemple, pour la betterave, 288 variétés étaient proposées et seules 17 sont conservées au Laboratoire (4).


La réglementation actuelle favorise l’appauvrissement de la biodiversité cultivée puisque seules les semences des variétés inscrites au Catalogue peuvent être commercialisées. L’inscription au catalogue d’une nouvelle variété est contraignante, coûteuse et demande au moins 6 à 10 ans. La sélection de variétés se fait dans le cadre de l’industrie agro-chimique : sur 349 variétés de blé au catalogue, seules 5 ont été développées dans les conditions de l’agriculture biologique (5).


Les semences industrielles sont donc sélectionnées pour :

  • Maximiser les rendements dans les conditions de culture propres à l’agriculture industrielle : utilisation importante d’engrais minéraux et de produits phytosanitaires, irrigation et mécanisation lourde impliquant une homogénéisation des cultures ;

  • Standardiser la transformation, la distribution et la commercialisation des produits agricoles(6).

Image by DCStudio

L’essor de l’agriculture industrielle avec ces variétés standardisées et homogénéisées ont permis une augmentation significative des rendements au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Toutefois, une des conséquences néfastes était la disparition progressive des variétés traditionnelles reproductibles par leurs semences et adaptables à leur région., élément de base de la souveraineté et la sécurité alimentaire. A part l'"érosion génétique" des plantes alimentaires, d'autres facteurs remettent en question le modèle industriel. Aujourd’hui, on observe une diminution des rendements agricoles, la disparition des insectes pollinisateurs, la désertification des sols, l’épuisement des ressources énergétiques et minières, l’instabilité du système alimentaire…


Importance de la reproduction locale des graines : processus d’évolution et d’adaptation continue


Les plantes se développent en relation étroite et en échange permanent avec leur environnement naturel, elles emmagasinent de nombreuses informations au cours de leur vie. Au moment de la reproduction, les plantes transmettent ces informations à la génération suivante à travers leurs graines. Les informations passées à la descendance ne sont pas seulement d'ordre génétique (telle la transmission du « plan d'assemblage général » par l'ADN), mais aussi d'ordre épigénétique. Les mécanismes épigénétiques permettent aux parents de transmettre des informations génétiques à leur descendance de façon réversible et modifiable puisqu'elles ne sont pas inscrites dans l'ADN.


Par conséquent, des plantes ayant pu compléter des cycles consécutifs de reproduction dans une région spécifique sur plusieurs années stockent dans leurs semences une « image » de cette région et de ses conditions naturelles. Cette image peut évoluer, modifiant ainsi les informations transmises par les graines. En termes d'écologie, on parle de processus d'évolution et d'adaptation continues.

Et, lorsque l'on parle de semences locales, c'est à ce processus écosystémique que l'on se réfère et non au lieu d'origine de la semence. Dans ce sens, il est évident que les semences que l'on achète chaque année dans le commerce ne peuvent pas suivre un tel développement.


Et quel lien avec la qualité alimentaire ? Et si les semences locales portaient en elles une qualité alimentaire particulière ?


Les plantes sont composées de substances vitales primaires, issues de la photosynthèse et de la synthèse de protéines. Elles contiennent également des substances secondaires (aromatiques, olfactives et chromatiques), qui ont des fonctions de survie : la pollinisation et la dissémination des graines, la résistance à certaines menaces comme des phénomènes météorologiques défavorables, la lutte contre les maladies et les nuisibles, ou même des plantes voisines rivalisantes.


Ces substances sont d'une valeur alimentaire extraordinaire, notamment grâce à leurs pouvoirs antioxydant et antibiotique. Bien qu'il s'agisse de doses infimes absorbées quotidiennement, ces substances jouent un rôle important dans notre métabolisme pour booster notre système immunitaire et donc pour nous permettre de rester en bonne santé.


Des recherches récentes indiquent que les modes de culture influencent de façon significative la teneur en substances secondaires dans les plantes : les plantes cultivées « surprotégées » (par exemple en serre ou avec des produits phytosanitaires) en produisent moins que celles cultivées en agroécologie (7). On peut donc supposer que, par la culture locale, artisanale, circulaire et agroécologique de semences, nous sommes en mesure de cultiver des plantes alimentaires d'excellence, contenant des substances capables d'entretenir au mieux notre santé.


Nous espérons que cette nouvelle piste de recherche s'intéressant aux bénéfices des plantes alimentaires issues de semences locales sur la qualité alimentaire soit approfondie par les centres de recherche.


photo credit : Aline Ouvrard

Vers une transformation du système semencier


Notre souhait est que la reproduction et la distribution des semences soient conçues pour :

  • Nourrir la population avec des produits agricoles d’une haute qualité nutritionnelle

  • Favoriser l’autonomie des paysans

  • Préserver les terres agricoles avec des pratiques agroécologiques

  • Favoriser l’autonomie et la sobriété énergétique et technique

  • Préserver les ressources en eau






La transition alimentaire passe par le développement de notre autonomie en semences et la diversification des variétés cultivées. La mise à disposition de variétés appropriées nécessite la création de filières locales de sélection, de multiplication et de distribution de semences.


photo credit : Aline Ouvrard

Beaucoup de jardinier·ères et de maraîcher·ères adhèrent à cette vision des choses. Le nombre de personnes qui s'intéressent à l'autoproduction de graines ne cesse d'augmenter, que ce soit pour contribuer à la sauvegarde de la diversité, pour augmenter la qualité nutritionnelle, pour se réapproprier une souveraineté alimentaire ou tout simplement pour le plaisir de voir ses légumes fleurir et faire des graines, petits trésors à ressemer l’année suivante avec une certaine fierté.


Si vous souhaitez vous engager vous aussi, de nombreuses voies sont possibles ! Grâce à un réseau local de sélection et de partage des semences, nous serons plus en mesure de faire face aux crises globales, avec des cultures diversifiées et adaptées au terroir.


  • Reproduire des semences chez vous et les partager

  • Rejoindre le réseau de semences citoyennes pour pouvoir échanger des semences avec d’autres personnes au Luxembourg

  • Participer à un de nos workshops pour en apprendre davantage sur la reproduction de semences. Le programme est disponible ici

  • Soutenir les initiatives locales dont SEED asbl, proposant en saison des semences locales biologiques disponibles dans différents lieux de distribution et aux événements publics.

photo credit : IMS

Pour toute information, vous pouvez nous contacter sur : eisegaart@cell.lu

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Sources :

1. Red List of the vascular plants of Luxembourg - Pteridophyta and Spermatophyta - Guy Colling (2005). 2. Communication personnelle T. Walisch, chercheuse au MNHN 3. Les Greniers d’Abondance (2020) Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires. 4. Cuisiner pour le Plaisir, pour les Autres, pour la Planète, la cuisine végétale, zéro déchet et éthique de Tom Hunt. Ed. Ulmer, 2020. 5. D’après la base de données du SEMAE citée dans Les Greniers d’Abondance (2020) Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires. 6. Les Greniers d’Abondance (2020) Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires. 7. https://www.fibl.org/fr/infotheque/message/une-nouvelle-etude-met-en-evidence-des-differences-significatives-en-matiere-de-sante-entre-les-aliments-bio-et-non-bio

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